Crossing The Line 2009/11
La conquête de l’Ouest c’est aussi la conquête de la photographie par les pionniers de la photographie américaine: Edward Curtis, Timothy O’Sullivan, Ansel Adams, etc…
L’intérêt que je porte à ces photographies, m’a toujours incitée à découvrir et à photographier l’Ouest américain. Naturellement j’ai été attirée par la frontière qui le borde : lieu de passage entre les Etats-Unis et le Mexique.
En 2009 j’ai commencé à marcher des deux côtés du mur, avec comme idée fixe d’aller au bout de cette ligne, de Tijuana jusqu’à Brownsville, Texas.
J’ai toujours regardé cette région frontalière comme un territoire en soi, que l’on appelle aussi au Mexique : "la tercera nacion", un espace de 13 millions d’habitants qui s’étend sur 3200 kilomètres et qui traverse un continent entier.J’ai voulu photographier cette "Mexamèrique", faite de villes aux cultures hybrides, qui coexistent des deux côtés du mur.
C’est à travers ces régions, du côté mexicain comme du côté américain, que j’ai pu observer les conflits quotidiens et les violences provoquées par l’immigration clandestine, les trafics de drogue, d’armes, et constater ainsi les liens qui existent entre tous ces trafics, qu’ils soient humains ou économiques.Grâce aux personnes rencontrées le long de la frontière, comme par exemple, ces clandestins perdus au milieu du désert, ou ces activistes qui leur viennent en aide, j’ai pu mieux comprendre l’histoire de ce flux migratoire, régulier ou clandestin, mais qui ne cesse d’augmenter chaque année.
Ce sont des millions d’immigrants qui, pour échapper à la misère et au chômage sont prêts à mettre leur vie en péril pour accéder au rêve américain.Dans un premier temps, j’ai voulu représenter les "artefacts" : ces traces laissées par les migrants derrière eux, durant leur traversée : sac à dos, habits, chaussures et autres débris intimes, ainsi que ces objets qu’ils réalisent de façon artisanale et qui leur permettent de sauter par-dessus le mur : planches de bois, échelles, pneus empilés, etc …
Dans cette série, j’ai aussi mélangé différents portraits réalisés de chaque côté de la frontière, comme par exemple, en Arizona, là ou le climat est des plus hostiles envers les migrants, celui de cet américain, Glen Spencer : ex-fondateur de la "border patrol", plus extrémiste que les "minutemen", ( ces citoyens armés qui surveillent la frontière ). Il est aujourd’hui encore plus impliqué dans la chasse aux migrants grâce à des technologies de hautes surveillance qu’il met au point lui même.Aux difficultés de la traversée, s’ajoute aussi un mur virtuel de plus en plus perfectionné.
Un autre obstacle, plus implacable, s’impose aussi aux migrants, le désert.
La chaleur y est accablante et les dangers permanents.
Dans cette aventure souvent tragique, les femmes sont les plus vulnérables.
En marchant le long de la frontière de Naco, du côté mexicain, j’ai photographié des sous-vêtements accrochés dans les arbres, ou jonchant le sol.
Les migrantes, afin de pouvoir traverser, sont violées par les passeurs.
Ces viols sont commis en toute impunité, dans le désert, souvent au pied du mur, parfois sous les yeux des autres migrants, puis, revendiqués par les violeurs comme pour marquer leur territoire et signifier leur totale domination.
Contraintes au silence, comme ces deux jeunes femmes blotties sous une couverture dans le désert de Naco, elles doivent accepter tous les risques de ce passage clandestin.